[RDA] La rue a-t-elle une existence juridique ?
La rue a-t-elle une existence juridique ?
Pour débuter cette rubrique dédiée aux aspects réglementaires et juridiques de l’espace urbain, cet article se pose la question de l’existence juridique d’une rue. Si la route est un espace relativement bien encadré réglementairement, l’espace rue le serait nettement moins pour la bonne raison qu’une rue n’est pas une route, comme le rappelle inlassablement « Rue de l’Avenir » qui milite depuis longtemps pour un Code de la rue.
L’origine du mot « rue » qui pourrait aider à définir ce terme n’est d’ailleurs pas certaine. Elle serait issue du latin ruga, pour signifier chemin bordé de maisons. Le développement de l’automobile a transformé ces chemins en voies de circulation qui peu à peu ont quadrillé nos villes. La rue pour accueillir ce trafic a alors pris d’autres noms comme avenue, boulevard ou artère. Ces noms ont des consonances a priori sympathiques, bien plus sympathiques que les termes apparus depuis une vingtaine d’année pour redonner aux usagers vulnérables leur juste place : zone piétonne ou aire piétonne, « zone 30 » et plus récemment «zone de rencontre». Ces terminologies restent très routières, traduisant la logique même du Code de la route. D’ailleurs, le terme « rue » n’y apparait jamais. Le Code de la route utilise des termes plus génériques comme « en agglomération», « voies publiques » ou « voirie communale».
A y regarder de près, aucun texte législatif ou réglementaire ne semble encadrer ce qu’est une rue. La rue n’aurait pas sa propre existence juridique. Parmi les 75 codes qui rassemblent lois et règlements d’un même domaine, le terme « rue » n’est que très rarement employé et jamais défini en tant que tel. Ce constat vaut notamment pour les principaux codes dont certains textes s’appliquent, pour autant, à cet espace. Outre le Code de la route qui régit la circulation et la sécurité des usagers, ni le Code de la voirie routière qui s’intéresse à la domanialité des routes, ni le Code de l’urbanisme qui réglemente l’occupation de l’espace, ni le Codes des transports qui traite de l’organisation des déplacements, ni le Code général des collectivités territoriales qui aborde le domaine de compétence des autorités locales ne sont précis en la matière.
Ce dernier code stipule, pour autant, à son article L 2212-2 relatif à la police municipale que cette dernière « a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques, ce qui comprend notamment tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues ». Cet article n’est pas anodin puisqu’il permet notamment aux maires de prendre des mesures de circulation plus rigoureuses que celles prévues au code de la route. Ces mesures font l’objet d’un arrêté de la circulation qui doit être dûment motivé. Le maire peut ainsi interdire la circulation des trottinettes électriques à l’instar de la ville de San Francisco (lire l’article : les trottinettes électriques et autres engins du même type peuvent-ils circuler sur les trottoirs ?). Le maire peut également interdite temporairement la circulation dans une rue pour cause de travaux sauf pour permettre la desserte de la rue (lire l’article : peut-on interdire la circulation dans une rue sauf aux riverains ?).
A priori, la rue serait donc une voie communale puisque le Maire y règle les problèmes de circulation. D’ailleurs, le code de la voirie routière, code moins connu que le code de la route, dédie toute une section législative à l’emprise du domaine communal. Son article L 141-2 rappelle que le maire y exerce les attributions prévues au Code général des collectivités locales. Pour autant, la lecture du code de la voirie routière nous apprend que le domaine routier est aussi composé de voies départementales et de voies nationales, qui peuvent être situées en agglomération. Le code de la voirie distingue également la voie privée de la voie publique. Il laisserait à penser que la rue est d’abord une voie publique, ou plus subtilement une voie ouverte à la circulation publique. L’article R 110-1 du Code de la route précise que ce sont ces voies et uniquement celles-ci qui sont régies par ses dispositions. En l’espèce, les contentieux sont particulièrement nombreux pour déterminer si le code de la route s’applique à une voie privée, cette notion étant laissée à l’appréciation des juges.
Il existe donc des « rues communales » et des « rues départementales », des rues privées ouvertes au public et plus rarement des rues « nationales », ce qui signifie qu’en matière de conception et d’aménagement des rues, chaque autorité domaniale (municipalité, conseil départemental, Etat) a son mot à dire quand bien c’est le maire et lui seul qui exerce le pouvoir de la police de la circulation. Le Code de la voirie précise que les caractéristiques techniques auxquelles doivent répondre les voies départementales (article L 131-2) ou communales (article L 141-7) sont fixées par décret. Mais à l’exception du décret n°94-447 du 27 mai 1994 relatif aux caractéristiques et aux conditions de réalisation des ralentisseurs de type dos d’âne ou de type trapézoïdal, aucun texte n’impose des normes de conception d’une rue au niveau national sauf l’obligation d’une part que les profils en long et en travers des voies permettent l’écoulement des eaux pluviales et l’assainissement de la plate-forme et d’autre part, que les caractéristiques techniques de la chaussée soient, sur une même voie, homogènes en matière de déclivité et de rayon des courbes. Seule, la signalisation routière édictée par un arrêté ministériel s’impose aux collectivités locales pour que les mesures de circulation qu’elles prennent soient opposables aux usagers (article R 411-25 du Code de la route). L’innovation en la matière est encadrée par l’article 14-1 de l’instruction interministérielle sur la signalisation routière (lire l’article : Autorisation d’expérimenter un nouveau marquage au sol à effet tridimensionnel pour signaler un passage pour piétons : un leurre pour leur sécurité ?)
A quoi peut donc bien alors ressembler une rue ? Le Code de l’urbanisme apporte quelques réponses puisque ce code conditionne le paysage urbain. Cependant, il n’utilise pas non plus le terme « rue » mais le terme utilisé par le code de la voirie routière de « voies publiques ». Ainsi, son article R 111-5 prévoit qu’un projet « peut être refusé sur des terrains qui ne seraient pas desservis par des voies publiques ou privées dans des conditions répondant à son importance ou à la destination des constructions ou des aménagements envisagés, et notamment si les caractéristiques de ces voies rendent difficile la circulation ou l’utilisation des engins de lutte contre l’incendie …. ». Cet article reste donc très souple d’application pour concevoir une rue.
Dans les communes dotées d’un Plan Local d’Urbanisme (PDU), le Code de l’urbanisme précise néanmoins que les autorités responsables de l’urbanisme peuvent imposer des caractéristiques géométriques aux voies communales (largeur de plate-forme, de chaussée, de trottoir). L’article L 123-1-5 prévoit que le règlement du Plan Local d’Urbanisme (PLU) peut, en matière d’équipement des zones : « 1° Préciser le tracé et les caractéristiques des voies de circulation à conserver, à modifier ou à créer, y compris les rues ou sentiers piétonniers et les itinéraires cyclables, les voies et espaces réservés au transport public … ; 2° Fixer les conditions de desserte par les voies et réseaux des terrains susceptibles de recevoir des constructions ou de faire l’objet d’aménagements (…) ».
En dépit de cette possibilité, peu de PLU proposent et imposent des profils en travers de rue, notamment où figurent des trottoirs, autre espace oublié de la réglementation qui fera l’objet d’un autre article. A noter que ces autorités responsables de l’urbanisme sont de plus en plus des communautés urbaines qui ont repris la domanialité de certaines voies communales devenues voies intercommunales.
Nous avons tous la représentation d’une rue. Elle fait partie de notre imaginaire. C’est le lieu où l’on va et vient pour se divertir, travailler, faire ses courses. Il y a des habitations de part et d’autres, des trottoirs avec des piétons et une chaussée plus ou moins large où se croisent les véhicules individuels, des transports collectifs et des deux-roues. Tout cela est normalement organisé dans le cadre d’un plan de déplacement urbain (PDU), piloté par l’autorité organisatrice de la mobilité autrefois intitulée autorité organisatrice des transports urbains .
Ce PDU vise notamment « à l’amélioration de la sécurité de tous les déplacements, en opérant, pour chacune des catégories d’usagers, un partage de la voirie équilibré entre les différents modes de transport et en effectuant le suivi des accidents impliquant au moins un piéton ou un cycliste, à la diminution du trafic automobile, aux développement des transports collectifs et des moyens de déplacement les moins consommateurs d’énergie et les moins polluants, notamment l’usage de la bicyclette et la marche à pied, à l’amélioration de l’usage du réseau principal de voirie dans l’agglomération, y compris les infrastructures routières nationales et départementales, par une répartition de son affectation entre les différents modes de transport et des mesures d’information sur la circulation ».
Face à toutes ces imbrications de textes réglementaires et d’autorités responsables concernant de près ou de loin l’espace « rue », on peut se demander si les habitants que nous sommes s’y retrouvent pour que nos rues conservent leur destination, celle d’un espace de vie où l’on séjourne, l’on se déplace, l’on se rencontre. Pour autant, il existe des opportunités souvent méconnus pour chaque administré de faire entendre sa voix lors de projet de réaménagement de l’espace urbain (lire l’article : permis d’aménager et participation du public )