Ville des proximités
Les mutations : la forme de la ville et ses usages ont considérablement évolué en quelques dizaines d’années.
Tout au long de la période historique, les villes ont très lentement étendu leur surface. L’augmentation de la démographie était absorbée par la transformation en hauteur des bâtiments, reconstruction ou surélévation. L’objectif consistait à conserver des distances facilement franchissables à pied. C’est ce qu’on a appelé « reconstruire la ville sur la ville ».
Après la seconde guerre mondiale, la démocratisation de la voiture individuelle a permis aux habitants des villes d’habiter loin de leur emploi et des services présents dans les centres ville. Les emplois et les services se sont ensuite décentralisés à leur tour. La création de secteurs dédiés chacun à une seule fonction urbaine (zonage monofonctionnel) a achevé de créer des distances de plus en plus longues entre les lieux qui accueillent les différentes activités des habitants des villes.
Bien que la théorie du zonage monofonctionnel soit très critiquée, nous héritons d’une ville étendue, dont les quartiers sont spécialisés et qu’on peut difficilement pratiquer sans une aide à la mobilité : voiture ou transports collectifs. Nous sommes donc piégés par ce qui avait été proposé comme l’outil d’une plus grande liberté et qui est devenu finalement une dépendance.
Si le transport collectif est vertueux parce qu’il est économe en énergie, en surface au sol et apporte peu de nuisances, l’utilisation de la voiture individuelle, qui devient systématique sans que ce soit toujours justifié, et la forme de la ville qu’elle a engendré apportent de nombreux problèmes : étalement urbain, dévitalisation des centres historiques, allongement des trajets, abandon de la marche et du vélo, populations captives et pénalisation des usagers vulnérables, enfants, aînés, PMR.
Dans ce contexte, les trajets quotidiens ne se font plus à l’échelle de la ville centre mais à l’échelle de l’agglomération. La recomposition progressive du bassin de vie à partir d’une série de pôles urbains répartis sur le territoire de l’agglomération, et non plus d’un seul centre, a été engagée par certaines collectivités. L’objectif est de redonner aux habitants la possibilité de fréquenter commerces et équipements de proximité à pied et à vélo. C’est « la ville des courtes distances ».
Les réflexions des urbanistes ont donné lieu à un modèle de ville qui a été décliné sous diverses appellations (ville polycentrique, ville archipel…). Dans la plupart des cas, il s’agit d’un système qui met en réseau des pôles urbains comprenant à la fois du logement, de l’emploi et des équipements. Le maillage des voies, qui relient les pôles secondaires, constitue un support favorable au transport collectif, qui ne peut pas être rentabilisé dans un secteur d’habitat diffus (zones pavillonnaires).
Dans ces schémas, les secteurs qui bordent l’armature du réseau, et donc desservis par les transports, sont généralement autorisés à la construction. L’intérieur des mailles accueille des espaces libres, boisés, récréatifs ou cultivés. Ils peuvent être ouverts à l’agriculture qui sera un jour utile à nourrir une partie des urbains.
La ville des courtes distances
Cette recomposition est un long processus. Elle permettra à terme de retrouver une ville apaisée et praticable à pied et à vélo. Dans un contexte où le vieillissement de la population est mal pris en compte, où l’étalement urbain est difficile à maîtriser et consomme des terres cultivables, où le changement climatique crée un besoin de nature en ville, il est nécessaire d’anticiper sur les conditions d’une nouvelle mobilité.
Les grandes métropoles ont entamé la réorganisation de leurs périphéries autour de pôles secondaires qui sont souvent les anciens villages. Mais, dans le même temps, les acteurs locaux laissent s’installer des centres commerciaux importants, éloignés de l’habitat, qui dévitalisent les secteurs de logement, confirmant leur fonction de dortoir. Il est donc nécessaire de comprendre les implications nombreuses et parfois lointaines du « tout automobile ».
Le retour à une utilisation de la voiture maîtrisés et respectueuse de l’environnement n’est pas une posture nostalgique. C’est au contraire une façon d’aborder la rue de demain : ouverte à tous, moins dangereuse, moins bruyante et plus conviviale. La ville des courtes distances est aussi une question de changement de comportements. En France, une partie importante des trajets de moins de un kilomètre (un quart d’heure à pied) sont effectués en voiture, alors que l’obésité augmente.
Mettre en œuvre un urbanisme de la proximité
Pour s’inscrire dans une dynamique de recomposition, plusieurs leviers peuvent être sollicités :
- Les règles d’urbanisme organisent la localisation des logements, des commerces et des équipements, des projets d’aménagement de nouveaux quartiers et de leur desserte. Elles se concrétisent par des textes dont certains ont force de loi. Les documents d’urbanisme sont élaborés en concertation avec les habitants et les acteurs du territoire.
- Les déplacements, dont l’organisation concerne à la fois les infrastructures (hiérarchie des voies, entretien, voies nouvelles…) et à la fois l’offre en matière de modes actifs (création de pistes cyclables, aménagement d’aires piétonnes et de zones de rencontre…) et la mise en place d’outils de limitation de vitesse (zones 30).
- Les transports collectifs, qui représentent une alternative à « l’autosolisme » et sont utiles notamment pour accéder aux services de centre-ville et pour les trajets domicile/travail.
- L’offre de stationnement, qui constitue un encouragement aux déplacements motorisés, contribue à éloigner les logements des emplois et des équipements et dissuade l’utilisation des transports collectifs.
Les documents d’urbanisme sont généralement élaborés dans un cadre intercommunal (Plan Local de l’Urbanisme Intercommunal) ou à l’échelle de l’agglomération (Plan Local de l’Habitat, Plan de Déplacements Urbains…). C’est l’échelle pertinente pour prendre en compte les différentes fonctions du territoire qui constitue le bassin de vie. L’intercommunalité ou l’agglomération sont aussi, dans la pluparts des cas, le territoire pertinent pour l’élaboration des « plans vélo » et des « plans piéton ».
La nouvelle donne
La ville des courtes distances est aussi la ville connectée, en évolution permanente. Elle bénéficie, par exemple, de la facilitation du co-voiturage, de la mise à disposition de véhicules en libre-service, de la diffusion de l’information concernant les transports collectifs (horaires, retards…). A plus long terme, les économies rendues possible par la voiture autonome pourraient permettre à des collectivités peu dotées de mettre en place des navettes électriques sans avoir à payer de conducteur.
Par ailleurs, un bon niveau d’équipement des pôles d’habitat secondaires est un contexte favorable au développement aux nouvelles formes de travail à domicile. Les modalités d’exercice de nombreuses professions évoluent vers une plus grande souplesse d’horaires et de localisation. Les voiries surdimensionnées pour faire face aux heures de pointe ne sont plus d’actualité et la transformation des autoroutes urbaines en boulevards est lancée dans les grandes villes du monde.
La localisation des commerces, qui quittent les centres des villes pour se regrouper dans des zones d’activités accessibles en voiture depuis les secteurs d’habitat, a pesé lourdement sur la forme de la ville, a contribué à la désertification des centres et à l’étalement des surfaces habitées.
Depuis plusieurs années, certains de ces centres commerciaux voient leurs bénéfices stagner ou diminuer. Le commerce électronique a un impact sur cette désaffection. Pour réagir à ces baisses de profit, la grande distribution a créé des chaînes de superettes implantées dans les sites urbains, dont le succès montre l’attachement de la population au commerce de proximité.